L’écrivain malien Diabaté Massa Makan,1938-1988, descendant d’une famille de griots malinkés, offre avec son roman « Le lieutenant de Kouta » une jolie pépite faite d’un humour irrésistible. Une jubilation jamais féroce qui page après page captive les lecteurs bienheureux de savourer ce bonbon tendrement acidulé. Dans le premier volet de ce roman en trois actes (chaque histoire peut être lue indépendamment des autres), un enfant du pays, le lieutenant Siriman Keita, est de retour dans son village Kouta après avoir combattu en France. Ces années passées dans la métropole n’ont pas été sans incidences sur ses valeurs qui ne sont plus tout à fait en harmonies avec les traditions villageoises. C’est ainsi qu’il se fait construire « une maison carrée » au lieu de la coutumière case ronde. Pire encore, il est le premier à se marier civilement ! un acte d’une grande gravité au regard des coutumes et de la religion musulmane. Plastronné de médailles et protégé par le commandant de cercle qui voit en lui un modèle d’insertion au régime colonial, le lieutenant s’octroie auprès des villageois un rôle incontournable, une des conséquences d’un orgueil démesuré. Peu lui importe les autorités traditionnelles séculaires. La chefferie et l’imam ne sont que des instruments dépassés. Soit il les ignore ou bien les utilise avec opportunisme. Entouré de ses courtisans dont le nombre varie en fonction de ses échecs ou de ses réussites, Siriman Keita devenu le centre de gravité de sa communauté se lance dans de nombreuses entreprises qui ne sont pas toujours heureuses. Délectable à souhait, « Le lieutenant de Kouta » témoigne de la faconde enjouée de Diabaté qui émaille ses propos de savoureux proverbes. Dans une veine similaire au roman « Le vieux nègre et la médaille » de Ferdinand Oyono, ce récit est aussi un témoignage par le comique d’une incompréhension de deux mondes, l’Afrique et ses traditions d’une part, le régime colonial d’autre part. Et qui mieux pour en témoigner qu’un ancien combattant évoluant dans un univers aux valeurs contradictoires et discordantes.
Avec « Le coiffeur de Kouta », Massa Makan Diabaté poursuit l’histoire des péripéties des villageois de Kouta pour notre plus grand bonheur. Nous retrouvons les personnages du premier volet à l’exception du lieutenant décédé. D’autres acteurs prennent vie et s’ajoutent au chambardement de la sérénité villageoise tel l’impulsif père blanc Kadri qui se reconnaît plus comme un villageois qu’un représentant d’une hiérarchie qu’il ne cesse de calomnier. L’écrivain saisit la vie du bourg avec bonheur : les clameurs des marchands de toutes sortes, le travail des artisans comme celui de Namori le boucher pingre et toutes les fredaines de tel ou tel habitant colportées à qui va le plus vite. Celles-ci sont le fond de commerces des « tueurs de temps » qui se rassemblent à l’ombre du hangar où Kompé l’unique coiffeur exerce ses talents. Kompé est l’œil du village. Tour à tour censeur, médisant, il est entouré de nombreux ennemis. Aussi quand s’installe un concurrent choyé par l’imam et le père Kadri, la guerre des intérêts n’est pas loin. Kompé ne peut pas accepter cette situation qu’il estime être une ligue contre lui… Ce qui n’est pas tout à fait faux. Une rivalité en résulte qui divise les villageois. La violence n’est pas loin. Toutefois si violence il y a, l’autorité compétente pour y mettre un terme n’est plus le pouvoir colonial. L’indépendance a mis en place un régime autoritaire qui a fait fi des coutumes villageoises. Dorénavant, les lois du pouvoir central sont les seules applicables. De telles dispositions entraînent le mécontentement des notables. Kouta, tel le village d’Astérix contre l’empire romain, décide de faire front. Le croustillant des situations, les expressions et les mots utilisés sont à l’instar du premier volet tout aussi savoureux et comiques. « Le coiffeur de Kouta » est une bien belle suite où le lecteur y prend un grand plaisir.