Pour être franc, je suis sceptique un polar en mains : combien de fois ai-je été déçu par une qualité d’écriture médiocre. Ce genre littéraire exige un travail des mots redoutable proche de celui du ciseleur. Ne s’invente pas Simenon le premier plumitif venu. Il doit faire corps avec le terrain, le labourer pour sentir ses odeurs et quand il y a lieu ses miasmes ; sinon l’ennui d’une mauvaise peinture d’un musée de second rang se fait un malin plaisir à pointer son nez. Le bouquin devient alors _ quelle horreur ! _ jetable, « marchandisé » qu’il est par sa médiocrité. Quoi qu’en disent les âmes dites autorisées des cénacles, le polar est un genre littéraire à part entière avec ses qualités, ses exigences qui n’ont parfois rien à envier à la prose des romans de saison «oscarisés». C’est donc avec des sentiments quelque peu préconçus, je le confesse, que j’ai pris en main La vie est un sale boulot de l’écrivain Janis Otsiemi. Ce jeune auteur n’est pas un débutant : né en 1976 à Franceville dans la province du Haut-Ogoué au Gabon, il a publié des essais et fictions dont le succès a dépassé les frontières de sa nation pour faire un tour du côté de l’hexagone. Le titre m’a mis en appétit : La vie est un sale boulot donne l’avant goût d’un polar bien noir où les bons sentiments sont aussi rares qu’une montre Rolex dans une file d’attente pour décrocher sa soupe à l’Armée du Salut. Il faut dire que le jeune Chicano, principal protagoniste, n’a pas le profil d’un saint à sa sortie de prison après quatre ans à compter ses chiques et ses poux. Accusé d’avoir été complice du meurtre d’un libanais au cours d’un holdup, il valait peut-être mieux pour lui de trouver un refuge sûr pour éviter la vindicte d’une diaspora rancunière. Quoi de mieux qu’une cellule de quelques mètres carrés au confort tout relatif partagé avec une dizaine de compères. Dans certaines situations, mieux vaut ne pas se plaindre de la qualité toute relative des services de l’hôtelier. Après quatre ans d’un régime peu enviable, promis, juré, Chicano se gardera bien de reprendre le chemin du diable. Il travaillera dans le garage de son grand frère à remettre sur pied de vieilles carlingues. Certes, la pitance ne sera que de quelques milliers de Francs CFA, mais il sera rangé. Malheur pour lui, sur son chemin, il croise ses anciens complices des coups foireux. Embarras… Ces gars sont tellement reconnaissants de ne pas les avoir dénoncés qu’ils lui proposent un plan de carrière sur le court terme : dévaliser des sacs de fric destinés à la solde des bidasses. Entre l’obole gagnée à la force du poignet au garage et quelques millions de CFA, Chicano ne refuse pas en dépit de ses mauvais présentiments. Mal lui en prend, ses potes sont loin d’être aussi généreux qu’ils le prétendent. Du reste, avoir des policiers aux trousses et qui sont prêts à tout pour mettre la main sur le magot, ce n’est pas une sinécure. Nous avons à faire avec La vie est un sale boulot à un polar de bonne facture. La plongée dans une société gabonaise gangrénée par la luxure, le stupre et toutes les autres formes de corruption est convaincante. La jeunesse sacrifiée, l’individualisme à tout rompre au mépris de tout humanisme, voilà les thèmes abordés dans le récit. Au reste, quel plaisir de profiter d’un argot croustillant : serrer l’os, ne chie pas dans ton coupé, cesse de lui couper la bouche, etc. Pour résumer, si nous n’avons pas à faire au livre de l’année, La vie est un sale boulot est un polar qui nous accorde une récréation bien salutaire. Dans ces conditions, pourquoi bouder son plaisir.